30 août, 2005

Kellymandjaro

Je sais, comme n'importe quel amateur de jazz, que Wynton Kelly était un remarquable sideman, qu'il a accompagné les plus grands, de John Coltrane à Dinah Washington, en passant, entre autres, par Dizzy Gillespie et Cannonball Adderley… On se souvient, dans le meilleur des cas, qu'enfant il a tenu l'orgue dans une église de quartier, qu'il a fait partie, plus tard, du quartet de Miles Davis, lequel attendait de ce merveilleux pianiste qu'il joue comme… Ahmad Jamal. Peut-on demander à la lune de se muer en soleil ? Et oui ! Être un immense musicien, un trompettiste génial, avoir opéré x révolutions dans le jazz ne met à l'abri de rien et surtout pas de la bêtise et de la muflerie.

Voici peu de temps en revanche, j'ai appris que Wynton Kelly, né en 1931 et disparu dans la fleur de l'âge à 41 ans, avait mis sur pied un fabuleux trio - Paul Chambers à la contrebasse et Jimmy Cobb à la batterie - qui ne cesse, encore aujourd'hui de donner des frissons à ceux qui l'écoutent, et qu'il a publié sous son nom une abondante discographie, discographie dont on peut toujours - à condition d'avoir du temps à perdre - chercher trace dans les bacs. Kelly Blue mis à part, vous serez plus chanceux sur le net.

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Full View, l'un de ses disques, a donc été enregistré au
Plazza Sound Studio à New York City, les 2, 27 et 30 septembre 1966 avec Ron McClure à la basse et Jimmy Cobb à la batterie. J'avais huit ans tout juste, des parents, des copains d'école. Encore peu de temps auparavant, il m'était arrivé, le soir avant de me coucher, de disposer l'une ou l'autre de mes dents de lait sous l'oreiller. C'est dire les espoirs qui étaient les miens. Bien sûr, je ne savais pas que le Plazza Sound Studio existait. Peut-être ne savais-je même pas que New York existait, que les noirs existaient, non plus que la condition qui leur était faite. Je ne savais pas qu'on pouvait aller le soir perdre la tête dans des night-clubs enfumés dont les princes étaient des esclaves, ni ce qu'était l'ivresse. Et pas davantage que la beauté existait dans de telles quantités qu'elle me serait largement dispensée.

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Jimmy Cobb, Wynton Kelly et Paul Chambers

Mon père, lui, est né en novembre 1932, soit onze mois après Wynton Kelly. Pourquoi n'était-il pas Wynton Kelly ? Ou jazzman ? Ou musicien de rock ? Je peux arriver à comprendre qu'il n'ait pas voulu être noir. Mais pourquoi n'était-il pas musicien, tout simplement ? Pourquoi en suis-je réduit aujourd'hui à tenter de faire de l'assistance respiratoire à un “blog” musical au lieu de composer et de jouer de la musique ? La musique n'est-elle pas la seule chose censée à accomplir sur la terre comme au ciel ? Aussitôt pas
sée la porte du Plazza Sound Studio, demandez à Wynton, ce qu'il en pense !

Enfin, voici une nouvelle rubrique : le Blind Test. Chacun peut tenter sa chance… Faites vos jeux ! Rien ne va plus… Impair, noir et manque ! (la solution ===> au prochain envoi)

26 août, 2005

Gants blancs, charme et cha-cha-cha…

Aux yeux de mes amis, je passe pour un amateur de refrains surannés, d'airs désuets, de standards lustrés par le temps, ignorant l'essentiel, ou presque, des musiques et des sons d'aujourd'hui. Si je ne suis pas certain d'avoir délibérément entretenu cette idée, il me semble n'avoir rien fait pour la démentir tant il est vrai que la grâce infinie des chansons d'autrefois m'ensorcelle à part égale du sentiment que m'inspirent celles-ci de surgir d'un monde oublié et probablement révolu. Un monde où il ne m'aurait pas été si difficile de m'amuser, où j'aurais pris plaisir à écouter le soir, sous un ciel de tropiques, de la musique de dancing en me laissant bercer par le frôlement des couples de danseurs. Un monde que je crois avoir approché, vers la fin des années soixante-dix, au “Miami Beach” à Aqaba, un night-club fait de pauvres planches dont la piste donnait sur la plage, où j'allais écouter chaque soir de la musique déjà datée en savourant des boissons fraîches et des grains de raisins pelés servis sur de la glace.
Notre plaisir ne serait-il qu'affaire de température ? Où règne le froid, s'amuser ne revient peut-être qu'à se réchauffer un peu, à tenter de s'accaparer un moment la moiteur du monde. Au sud, où la paresse est la règle et l'agitation l'anomalie, il s'agit au contraire de ne pas se liquéfier davantage, de rafraîchir son corps et son esprit dans le courant immobile d'un temps qui semble s'être arrêté de passer et que vient malgré tout rythmer la musique. Peut-être est-ce cette atmosphère, à nulle autre pareille, que pensait dépeindre Christophe, en trois mots : « Gants blancs, charme et cha-cha-cha… ? »



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Dexter Johnson

À Dexter Johnson*, ces trois mots vont comme un gant justement. Accompagné le plus souvent par le Superstar de Dakar, cet incomparable souffleur sénégalais dérobe à son sax de langoureuses rumbas qui rappellent combien le temps est volatile et passager l'amour. À l'écoute de ses mélopées arrangées en longues déclarations sentimentales, une évidence prend corps : avec Sangomar, vol. 1 et Sangomar, vol. 2, Dexter Johnson a donné sa forme parfaite à notre mélancolie.

Ici, la beauté va s'asseoir sur vos genoux :
  • Bolero (Serie Sangomar, vol. 1 - Dakar Sound - 1998)
  • El Corason (idem)
  • Seul (Serie Sangomar, vol. 2 - Dakar Sound - 1999)
* Merci à l'ami Aduna, grâce auquel je l'ai découvert…

17 août, 2005

Lagarde et Michard

La Cadillac… en balade, que se passe-t-il ? Le débat enfle, la polémique fait rage. Les uns s'agitent, les autres s'énervent, on s'invective ici et là. Anathème, excommunication, il s'en faut de peu que volent les noms d'oiseaux. En cause, les compilations, décidément factrices de troubles, dont les thuriféraires, on le voit, sont montés au créneau passé le premier vent contraire.

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En ce qui me concerne, je persiste et signe et suis tenté de les renvoyer tous dos à dos. Ils font, avec la musique, ce qu'en aucun cas ils ne feraient avec le cinéma - objet de leurs amours - non plus qu'avec les livres qu'ils admirent ? Les imagine-t-on graver des DVD de leurs plans préférés, des séquences qu'ils chérissent par dessus tout. Consacreraient-ils autant de temps à compiler tels chapitres de romans qui les ont émus, se satisferaient-ils d'éditions expurgées ? Que vaudrait À la recherche du temps perdu réduite à ses meilleures pages, un Voyage au bout de la nuit expédié en deux ou trois morceau de bravoure, un chef-d'œuvre de la bande dessinée ramené à deux ou trois cases, les plus inspirées ? Ne cherchez pas ! Ils seraient les premiers à crier au scandale, à dénoncer saccage et vandalisme, exploitation et trahison. Faites l'expérience ! Demandez-leur de vous faire découvrir, non pas le film qu'ils préfèrent, celui qu'ils aimeraient avoir fait, mais seulement les dix minutes qui leur semblent les plus intéressantes. Ils n'hésiteront pas à vous agonir d'injures, à invoquer le ciel, la raison, l'art…
Pour la musique, il en va tout autrement. Les voici mués en Lagarde et Michard, autorisés - par quel miracle ? - à tous les tripatouillages, à toutes les tambouilles possibles et imaginables…
Et comme je ne suis pas à une contradiction près, voici deux propositions de compilations. La première, Tezeta, Ethiopian Blues & Ballads, pour dire encore une fois combien est merveilleuse toute la série des Éthiopiques, incomparable travail d'exhumation de splendeurs sans lequel l'oubli menace.

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La seconde, Hot Women • Women Singers From The Torrid Regions Of The World, Taken From Old 78 RPM Records, pour remercier Robert Crumb, génial compilateur de musiques populaires enregistrées des années 20 et 30, d'avoir rassemblé et publié ces 24 superbes vieilleries.

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Attention, c'est là que ça se passe !

Altèlèyèschegnem (1971, Alèmayèhu Eshèté - Tezeta, Ethiopian Blues & Ballads, Buda Musique)
Blues nègres (Louisiane 1934, Cleoma Falcon - Hot Women, Women Singers From The Torrid Regions, Kein & Aber Records)
Mexico en una laguna (Mexique, 1930's, Lidya Mendoza - idem)