06 juillet, 2005

Compil' héritage

Je n'aime pas les compilations et suis resté, qu'il s'agisse de musique ou de littérature, imperméable à l’idéologie de l'extrait, du morceau choisi, du “meilleur de…”. “Best of” et “Greatests Hits” relèvent à mes yeux d'une culture négative faite d’équarrissages grossiers, de citations mensongères, de cut-up truqués mis au service d’une dérisoire utopie de l’essentiel dévoyée en zapping planétaire. Cet appétit de spectaculaire fait peu cas de l’œuvre évidemment - nous parlons ici de disques - de ses tâtonnements, avancées et reculs. Un grand album à mes oreilles ne saurait reposer exclusivement sur deux ou trois titres parfaits ni exister sans que soient enfouis dans ses sillons les moments de fatigue, d’hésitation, de solitude, les baisses de régime et les chutes de tension, les maladresses muées en audaces, toutes choses qui en font le prix et disparaissent dans l’éparpillement en compilations de meilleurs titres.
La contradiction avec l’existence de La Cadillac… n’échappera à personne puisque celle-ci prélève, découpe, morcelle, met des disques en pièce, en proposant ceci, retranche cela. Qu’on sache que la loi, et elle seule - déjà enfreinte ici dans de modestes proportions – m’interdit de proposer des albums entiers.
Bien que prévenu donc contre les compilations, il me faut reconnaître qu’il en existe de remarquables, en particulier quand il s’agit, non pas des meilleurs titres d’un artiste ou d’un groupe, mais d’époques révolues, de genres oubliés, de territoires délaissés, de chefs-d’œuvres devenus introuvables. L'idéal, une fois encore, reviendrait à rééditer méthodiquement les albums d'où sont extraits telle ou telle pépite. Ainsi ces grandes compilations créent-elles essentiellement frustration, rage, désabusement. On en prendra pour preuve Love’s A Real Thing • The Funky Fuzzy Sounds of West Africa • World Psychedelic Classics 3 - soit 12 titres à devenir fou - parue sur l’excellent label Luaka Bop dirigé par David Byrne. À la première écoute, stupeur. À la deuxième, double stupeur. La troisième, ce n'est pas original, stupeur puissance trois. Il en va comme ça jusqu'à douze, vingt, cinquante, mille…
Example

Restent douze titres à danser, à danser mentalement jusqu'à la transe, douze rescapés qui font d'un musicien de rock inventif et attachant, d'un patron de label, d'un compilateur inspiré rien moins qu'un archéologue des cultures populaires. Un héros en somme, auquel nous devons bonheur et plaisir. Chapeau !