09 février, 2006

Shalom, Salam

Baladin du monde, citoyenne sans frontières, Sara Alexander chante pour la paix, pour que cesse enfin le conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens. Et pourquoi pas ? Quand tant d'autres chantent pour la célébrité, la postérité, la fortune, objectifs qui, le plus souvent, resteront pareillement hors d'atteinte. Ni folle, ni sainte, Sara ne se fait pas trop d’illusions et sait parfaitement qu'aucune chanson, fût-ce la plus belle, ne peut arrêter une balle aussi souverainement que peut, la main levée de Néo, dresser un écran translucide entre le tireur et sa cible contre lequel, devenue soudain dérisoire, viendra s'endiguer la course des projectiles.


Sara croît, ou pense, en revanche qu'une chanson pourrait ôter l’envie de tirer à cet homme-là, pousser celui-ci à retenir son geste, inspirer à celui-là de laisser tomber, qu’une chanson de plus, quoi qu’il en soit, ne saurait faire de mal à quiconque. Il faut un certain courage pour nourrir un tel credo, pour le maintenir, contre vents et marées, au chaud et au sec, credo que le “vingt heures”, chaque soir, tente de réduire en poussière. Pour parvenir à cela, Sara chante en arabe et en hébreu, lit, ou chante, des textes du poète palestinien Mahmoud Darwish et garde chevillé au corps un certain esprit de résistance.

Des résistants, Jean Paulhan écrivait : « Et je sais qu’il y en a qui disent : “Les résistants sont morts pour peu de chose. Un simple renseignement (pas toujours très précis) ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin (parfois assez mal composé)”. À ceux-là il faut répondre : “C’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement des doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de chose, dis-tu. Oui c’est peu de chose. Mais si elle ne te piquait pas il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles”. » Ainsi Sara Alexander pourrait-elle dire, à la manière de Paulhan : oui, une chanson c’est peu de chose, ça ne fera jamais taire un canon. Mais s’il n’y avait pas de chansons, si je ne chantais pas, si personne, en chantant, ne se plaçait du côté de la vie, peut-être n’y aurait-il pas de négociations.

Picasso - La Colombe, 1949

Bien sûr, chanter pour la paix, c’est ingrat. Cela ne rend ni riche, ni célèbre, ni ne garantit aucune postérité. Sara, si j’ai bien compris, c’est - malgré son talent - sept disques (4 CD - 3 LP) en quarante ans auxquels s’ajoutent une poignée de livres chaleureux. C’est tout ? Oui, c’est tout.

Arrêtons-nous par exemple sur ce bel album qu’a publié le label Al Sur, disque que j’ai acheté, juste après l’avoir découverte, un soir d’été voici trois ou quatre ans, en concert, à l’abbaye de Valmagne qu’elle a transformée, de ses seules vertus, en un lieu où les confessions ne pesaient rien. Accordéoniste chevronnée dôtée d’une belle voix de jour avec et de jour sans, elle a donné, entourée de ses excellents musiciens, un spectacle que le temps n’a pas effacé. Comme en témoigne cet hommage tardif. Dans ce Café Turc, une bohémienne de cœur, marieuse de sonorités, conjugue amoureusement gigues orientales, ritournelles klezmer, méloppées arabes, blues anatolien comme peuvent se mêler, dans les bistrots d’Istanbul, l’arôme épicé des narguilés… Là, paradent joyeusement les rythmes de l’Orient et de l’Occident comme paradent ici quelques uns des mots du dictionnaire.

Solfège mélancolique en trois leçons :


13 commentaires:

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

Allez au dela de la polémique de la tentation du jeunisme dans lequel vous sombrez et passons a cette histoire du pouvoir de la chanson. Pouvoir restreint et passablement négligeable pour arrêter un conflit il est vrai. En tout cas pour rester dans les références de la culture populaire je citerais Naoki Urosawa qui fait dire à l'un de ses personnages "Quand un type chante, on ne lui tire pas dessus". Il faut rappeler le contexte de cette phrase: voila un musicien qui pour lutter contre une armée sectaire et fascisante décide non pas de se défendre, mais d'entonner une chanson. Le résultat ne se fait pas attendre: il se fait tirer dessus. Blessé il fera remarquer plus tard à l'un de ses admirateurs, que cette phrase était d'une rare stupidité. Il le savait très bien au moment de la prononcer, mais quelque part son "public" espérait l'entendre. Alors il a dit cette connerie: "Quand un type chante, on ne lui tire pas dessus"... Une chanson n'arrêtera jamais les balles. J'aime croire que la simplicité de 2Oth Century Boys vaut mieux que la superficielle complexité d'une compilation creuse du nom de Matrix.
Nous seront sans doute a jamais opposés sur ce sujet là.
je suis toujours buté, bougon et incroyablement de mauvaise foi dans ces moments là.
Du reste lire vos chroniques est toujours un réel plaisir mon cher Fernet. Et ma joie est grande de voir que vous avez enfin trouvé l'inspiration pour poster plus souvent.

sadoldpunk a dit…

eh oui, nous pensions le "père peinard" habitué désormais à un rythme mensuel empreint de la sagesse et de la langueur du blues, et voilà que d'un revers de kick saisissant il nous prouve qu'il est là, au présent et en vitesse. Bon, maintenant j'écoute les chansons.

Fernet-Branca a dit…

Entre l’érudition abyssale de l’un et l’éloquente sensibilité de l’autre, mes pongistes préférés sont toujours les premiers aux rendez-vous de la Cadillac. Comme je suis gâté !

Fernet-Branca a dit…

Heureux AdCR,
Je ne vois pas très bien où vous voulez en venir avec l'emploi, légèrement condescendant, du terme “jeunisme”, dans lequel vous me voyez “sombrer”. Je vous encourage à bien peser bien les termes de votre réponse. Dans le cas contraire, la mienne sera cinglante !
@mitié

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

Mon allergie aux frères Wachowski me fait perdre tout mes moyens...

Fernet-Branca a dit…

Si tu t'excuses, ça va, petit joueur…!

Anonyme a dit…

Merci pour cette découverte !!! amitiés de Montpellier

Fernet-Branca a dit…

Un nouveau ? Une nouvelle ? De Montpellier ? J'adore ! Quel bonheur d'habiter le sud, au soleil !
Sara aussi vient du soleil. Tout ce petit monde était fait pour se rencontrer en Cadillac, j'en suis sûr !

Fernet-Branca a dit…

Un nouveau ? Une nouvelle ? De Montpellier ? J'adore ! Quel bonheur d'habiter le sud, au soleil !
Sara aussi vient du soleil. Tout ce petit monde était fait pour se rencontrer en Cadillac, j'en suis sûr !

Anonyme a dit…

Mazel Tov !
Berin-Belleville

Pitoen a dit…

Assez pas mal magnifique la citation de Jean Paulhan.

marcel a dit…

hello
Write to a great personnalitie
i post your letter
shalom
marcel
jewisheritage

spinning in air a dit…

Thank you so much for this post! This is the 1st time I've heard Sara Alexander, and I will now be looking for her CDs.

(My sincerest apologies for writing in English, rather than in French...)

all the best,
Spinning

http://spinninginair.blogspot.com