Le 17 septembre dernier, Jacques Lacarrière disparaissait, sinon dans le silence, dans une relative discrétion, la même probablement qui avait guidé ses pas tout au long de la vie. Quoi qu'il en soit, ne restent, la mort venue, que les questions, noyau insécable niché au cœur d'une vie vouée à l'écriture, indéchiffrable obsidienne. Qui était-il au fond ? Comment est-il devenu ce flâneur infatigable, errant magnifique et sans âge ? À quelle source son amour de la Grèce a-t-il trempé, laquelle des fées, souveraine parmi les souveraines, s’est-elle penchée sur son berceau pour le muer en géomètre des suds, poète des origines et des genèses, hédoniste contemplatif des indémodables secrets de la nature ? Quels aléas ont fait de lui le proche d’Icare et d’Hérodote, le confident des ermites, le praticien des dieux ? À quelles grandes œuvres s’est-il frotté pour devenir cet écrivain sémillant et profond, gourmand des beautés du monde ? Les livres, les œuvres, répondent-ils jamais à ces questions ?
Mais restons du côté de la vie. En tendre amant de la Grèce, Jacques Lacarrière ne pouvait que s'éprendre du rebetiko. Né dans les bas-fonds d’Athènes, dans les arrière-salles des rades du Pirée, le rebetiko est une musique de mauvais garçons venus, de partout, s’échouer là, vivre dans la misère et le haschich des amours éternelles qui ne duraient qu’un jour, à la poursuite de rêves sauvages qui ne tenaient pas le vent... Posté à ce carrefour de l’Orient et de l’Occident, un petit groupe d’hommes à l’existence précaire réussit le tour de force de trouver, sans aucun signe d’encouragement ou d'approbation, une issue musicale à sa condition. Ce qui fait du rebetiko une musique aussi essentielle que le blues dont il est par ailleurs le juste contemporain. Curieusement, quelque chose de la conscience nationale s’est façonné dans les inflexions de cette musique de voyous et de marginaux, devenue au rythme des transformations de la société grecque, un chant de classe, puis un art à part entière.
Nous ne sommes pas si nombreux à en écouter tant les enregistrements semblent confidentiels et rares les rééditions. Il en existe cependant. Outre les disques de quelques-unes des figures historiques du rebetiko*, il est possible, pour peu qu'on le veuille, de mettre la main sur de splendides compilations propres à donner une idée de ce qu'était le rebetiko - genre musical sans postérité définie - de son génie propre comme de son importance dans le registre de l'art populaire. On en prendra pour preuve L'Orient des Grecs, disque si merveilleux qu'en prélever deux ou trois titres revient à déchirer ce qu'il me reste d'âme et me fait craindre, pour l'avoir osé, de devoir un jour en payer le prix…
Bref, l'enfer c'est par là…
- Diplochordo - 1935 (L'Orient des Grecs - Buda Records)
- Min Orkizesse Pseftra - 1934 (idem)
- San Filo Marameno - 1934 (idem)
Blind Test du jour
Blind Test du 22 novembre
Chickenhead (Pat Project - Mista Don't Play : Everythangs Workin - Relativity, 2001)
* Je tiens à la disposition des usagers de La Cadillac… qui en feraient la demande par e.mail, une discographie de rebetikos essentiels.