29 novembre, 2005

Blues d'Orient

Le 17 septembre dernier, Jacques Lacarrière disparaissait, sinon dans le silence, dans une relative discrétion, la même probablement qui avait guidé ses pas tout au long de la vie. Quoi qu'il en soit, ne restent, la mort venue, que les questions, noyau insécable niché au cœur d'une vie vouée à l'écriture, indéchiffrable obsidienne. Qui était-il au fond ? Comment est-il devenu ce flâneur infatigable, errant magnifique et sans âge ? À quelle source son amour de la Grèce a-t-il trempé, laquelle des fées, souveraine parmi les souveraines, s’est-elle penchée sur son berceau pour le muer en géomètre des suds, poète des origines et des genèses, hédoniste contemplatif des indémodables secrets de la nature ? Quels aléas ont fait de lui le proche d’Icare et d’Hérodote, le confident des ermites, le praticien des dieux ? À quelles grandes œuvres s’est-il frotté pour devenir cet écrivain sémillant et profond, gourmand des beautés du monde ? Les livres, les œuvres, répondent-ils jamais à ces questions ?

Recueil de classiques du Rebetiko
traduits par Jacques Lacarrière


Mais restons du côté de la vie. En tendre amant de la Grèce, Jacques Lacarrière ne pouvait que s'éprendre du rebetiko. Né dans les bas-fonds d’Athènes, dans les arrière-salles des rades du Pirée, le rebetiko est une musique de mauvais garçons venus, de partout, s’échouer là, vivre dans la misère et le haschich des amours éternelles qui ne duraient qu’un jour, à la poursuite de rêves sauvages qui ne tenaient pas le vent... Posté à ce carrefour de l’Orient et de l’Occident, un petit groupe d’hommes à l’existence précaire réussit le tour de force de trouver, sans aucun signe d’encouragement ou d'approbation, une issue musicale à sa condition. Ce qui fait du rebetiko une musique aussi essentielle que le blues dont il est par ailleurs le juste contemporain. Curieusement, quelque chose de la conscience nationale s’est façonné dans les inflexions de cette musique de voyous et de marginaux, devenue au rythme des transformations de la société grecque, un chant de classe, puis un art à part entière.


Nous ne sommes pas si nombreux à en écouter tant les enregistrements semblent confidentiels et rares les rééditions. Il en existe cependant. Outre les disques de quelques-unes des figures historiques du rebetiko*, il est possible, pour peu qu'on le veuille, de mettre la main sur de splendides compilations propres à donner une idée de ce qu'était le rebetiko - genre musical sans postérité définie - de son génie propre comme de son importance dans le registre de l'art populaire. On en prendra pour preuve L'Orient des Grecs, disque si merveilleux qu'en prélever deux ou trois titres revient à déchirer ce qu'il me reste d'âme et me fait craindre, pour l'avoir osé, de devoir un jour en payer le prix…

Des réfugiés d'Asie mineure et des rebetes
prennent le frais au Marché aux poissons du Pirée en 1937

Bref, l'enfer c'est par là…


Blind Test du jour


Blind Test du 22 novembre
Chickenhead (Pat Project - Mista Don't Play : Everythangs Workin - Relativity, 2001)

* Je tiens à la disposition des usagers de La Cadillac… qui en feraient la demande par e.mail, une discographie de rebetikos essentiels.

12 commentaires:

Reverend Frost a dit…

Grandiose !

Fernet-Branca a dit…

Merci Révérend,

J'ai cru pendant un moment que le rebetiko n'allait plaire à personne. Pour Jacques Lacarrière, pour les rebetes et le rebetiko, merci à vous encore une fois…
A bientôt

Anonyme a dit…

Pourquoi ne pas mettre la Discographie du Rébético directement sur ce Blog? Pour ma part je connais "Chansons des fumeries et des prisons" par "Rébétiko Tsardi" (30cm OCORA) - qui ne semble pas avoir été réédité - et "Hommage à Tsitsanis" (CD Ocora), mais est-ce encore du rébétiko?
En tout cas toutes mes félicitations pour le choix des musiques proposées ici selon des critères que décidément je partage, ainsi que la façon de les présenter. J'ai bien aimé spécialement "Zanzibar". J'achèterais les disques à la première occasion.

Fernet-Branca a dit…

@ l'utilisateur anonyme
Pour avoir tendance à faire de longs post(s), il m'a semblé excessif de laisser en plus une liste de disques qu'encore une fois je tiens à votre disposition.
Quant à Vassilis Tsitsánis, il s'agit bien de rebetiko. Essayez d'écouter « Vassilis Tsitsánis 1936-1946 » (Rounder CD 1124) pour ne plus en douter.
Avant de vous remercier enfin de vos gentillesses à propos de la Cadillac…, je vous recommande de choisir un pseudonyme moins impersonnel. Ainsi aurais-je plaisir à vous reconnaître lors de votre éventuelle prochaine visite.

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

je trouve qu'il y a beaucoup trop de titres de rebetiko proposés et que cela peut nuire à sa carrière musicale et au merchandising du monsieur. C'est une honte, monsieur Fernet ! Comment voulez vous que cet homme vive, même mort, si ses fans téléchargent son oeuvre gratos sur internet?
Non, mais je vous le demande ! Non, mais je vous l'demande !

Fernet-Branca a dit…

Je vois que l'AdCR est toujours dans la lune… Que voulez-vous…? C'est comme ça qu'on l'aime

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

Totalement à la ramasse je vous l'accorde mon cher.
Je ne sais pas qui vient diner ce soir, mais en tout cas c'est tres joli.
En tout cas je suis tres heureux de vous apprendre que mes activités reprennent.
Bien à vous Monsieur !

Ps: mais alors qui sont ces roboteks? des amis des Transformers? ou de Goldorak?

Anonyme a dit…

Cher F-B

Une nouvelle fois un grand merci:
1/ Pour le texte
2/ Pour le Rebetiko (que je ne connaissais absolument pas)
3/ Pour le gentit petit mot sur Aduna

Amitiés...

ps:Je suis de retour sur Paris pour trois petites semaines. A Bientôt.

totagata a dit…

lacarriere disparu, ça me fait vraiment de la peine. Non, je ne le savais pas... la fameuse discrétion, sans doute. Il avait publié un livre de balades magnifique dans les années 70 - l'histoire d'une traversée de la France - qui valait vraiment le détour, tout à l'image du bonhomme. Merci en tt cas pour ton hommage.

Fernet-Branca a dit…

> Totagata

A quel livre faites-vous allusion ? Errances ?
Merci en tout cas d'avoir apprécié ce modeste hommage.

totagata a dit…

le bouquin s'appelait "chemin faisant"

PS la zic du post est pas mal non plus - après écoute :)

Fernet-Branca a dit…

> Totagata

Merci pour le titre du bouquin. J'en profite pour vous recommander “Errances” paru, si mes souvenirs sont bons, chez Christian Pirot. Quand au rebetiko, il y a là un gisement de pépites musicales extraordinaire qu'il faut absolument découvrir.