Pour mon père - qui me le répétait régulièrement quand j’étais enfant - le monde se divisait en deux ensembles aussi nettement distincts qu’étanches : « il y a, disait-il, ceux qui les remplissent et ceux qui les vident. » La première fois qu’il m’a adressé cette poignée de mots, frappée du sceau de l’irrévocable, je n’ai absolument rien compris à ce dont il parlait. Il s’agissait, je l’ai su très vite, des lieux d’aisance comme on les appelait autrefois. D’où tenait-il cette “sagesse”, parabole hardcore de la lutte des classes ? De l’armée sans aucun doute, de son service militaire accompli en 1956, à Aïn Tekbalet, en Algérie, de cette corvée de latrines tant redoutée des troufions. Conservateur sans états d’âme, cet axiome ne le révoltait pas, bien au contraire. Sûr de pouvoir affronter un monde adossé à ce postulat, il l’avait accepté comme une fatalité dont il appartenait à chacun de disposer et avait investi tous ses efforts dans l’espoir de s’agréger à la première de ces catégories. Devenu adolescent quant à moi, j’ai commencé d’accorder davantage d’intérêt à d’autres partitions, comme celle opérée par Louis Aragon - ce n’est qu’un exemple - entre « ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas. »
Peut-être ai-je gardé de tout cela quoi qu’il en soit une vision booléenne du monde et de ses alentours. Ainsi pourrais-je dire aujourd’hui aux enfants que je n’ai pas que celui-ci se divise de mon point de vue entre ceux qui aiment Hank Williams et ceux qui ne l’aiment pas. Cela ressemble à une vision étriquée ? Je m'en fiche ! Fort du soutien de Kris Kristofferson qui semble en avoir fait un préalable chantant à tout commerce avec ses prochains, et ses prochaines, je me sens d’autant plus autorisé à le leur garantir :
I dig Bobby Dylan and I dig Johnny Cash
And I think Waylon Jennings is a table thumpin' smash
And hearin' Joni Mitchell feels as good as smokin' grass
And if you don't like Hank Williams, honey, you can kiss my ass
And I think Waylon Jennings is a table thumpin' smash
And hearin' Joni Mitchell feels as good as smokin' grass
And if you don't like Hank Williams, honey, you can kiss my ass
Bob Dylan me botte et Johnny Cash m’enchante
Waylon Jennings c’est une baffe vraiment géante
Écouter Joni Mitchell c’est comme fumer un bon pétard
Et si t’aimes pas Hank Williams, chérie, va donc te faire voir
Waylon Jennings c’est une baffe vraiment géante
Écouter Joni Mitchell c’est comme fumer un bon pétard
Et si t’aimes pas Hank Williams, chérie, va donc te faire voir
Kris Kristofferson, If You Don’t Like Hank Willams
(traduction Hubert Corbin et F. B.)
Sur Hank Williams, tout à été dit sans aucun doute, de sa formation musicale à sa disparition prématurée due, dit-on, à une crise cardiaque, de son yodel, emprunté à Jimmie Rodgers, à son excessive consommation d’alcool et d’amphé-tamines, de son entrée fracassante au Grand Ole Opry en 1949 à l’exclusion qui s’ensuivra en 1952 pour « conduite inconciliable avec la réputation de l’institution. »
Je me risquerais simplement à dire qu’il reste, aujourd’hui encore, l’incarnation, parfaite à mes yeux, de ce qu’ont été, devraient être et seront peut-être un jour, les musiques populaires. Que ses meilleures chansons, qui ne cessent de valser entre le ridicule et la grâce, le moderne et le désuet, témoignent d’un monde où les hommes ne se divisent pas, où leur condition est douloureuse, où ils arrivent sur terre poussés par le vent, petites poupées de glaise façonnées dans les ténèbres, où tous retourneront à la poussière, qu’ils aient été, ou non, de « ceux qui chantaient dans le supplice », de « ceux qui les remplissent » ou de « ceux qui les vident. »
(Georgina, Alabama, non daté)
Hank Williams, en concert, à l'arrière d'un camion, dans sa ville natale.
Au tout premier plan, Audrey, son épouse apparaît avec des lunettes de soleil.
© Hank Williams Boyhood Home & Museum
Pour La Cadillac, la musique populaire, c'est ça !
Hank Williams, en concert, à l'arrière d'un camion, dans sa ville natale.
Au tout premier plan, Audrey, son épouse apparaît avec des lunettes de soleil.
© Hank Williams Boyhood Home & Museum
Pour La Cadillac, la musique populaire, c'est ça !
- Long Gone Lonesome Blues (Hank Williams, Low Down Blues, Mercury)
- My Bucket's Got A Hole In It (idem)
- Honky Tonk Blues (idem)