Portrait de Dock Boggs (auteur non identifié)
Dans un livre remarquable de bout en bout, La République invisible, Greil Marcus dit de Dock Boggs que celui-ci chantait « comme si les os lui traversaient la peau chaque fois qu'il ouvrait la bouche. » Cette juste formule, forgée par l'intelligence et la sensibilité, me fait immanquablement penser au Testament de François Villon auquel elle pourrait s'appliquer tout aussi bien :
He Dieu, se j'eusse estudié
Au tems de ma jeunesse folle
Et a bonnes meurs dedié,
J'eusse maison et couche molle.
Mais quoi, je fuyois l'escolle,
Come faict le mauvais enfan.
En escripvant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fent.
Au tems de ma jeunesse folle
Et a bonnes meurs dedié,
J'eusse maison et couche molle.
Mais quoi, je fuyois l'escolle,
Come faict le mauvais enfan.
En escripvant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fent.
François Villon, Le Testament (1462), vers 201-208
François Villon et frontispice de La Ballade des pendus
Lire du « Françoys Villon » à voix haute, c'est sentir sa bouche cracher la rocaille, son palais traversé d'os brisés, ses joues mises en perce. Me voici tenté de pousser l'analogie plus loin, d'imaginer Dock Boggs en frère humain de François Villon, jumeau égaré à travers les siècles et les continents d'un poète du moyen-âge dont la connaissance dit qu'il était mauvais garçon, bagarreur, mendiant, voleur, assassin peut-être, voyou en tout état de cause. Ainsi ont-ils été tous deux prompts à donner du poing, à dégainer, qui son surin, qui sa pétoire, à faire la manche en cas de besoin, le premier armé de ses vers, le second de son banjo. On sait que le poète a connu le cachot quand le musicien en a peut-être vu s'approcher l'ombre, que le premier à écrit Mort et le second O Death.
Mort
Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :
Onc puis n'eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisait-elle en vie,
Mort ?
Deux étions et n'avions qu'un coeur ;
S'il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :
Onc puis n'eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisait-elle en vie,
Mort ?
Deux étions et n'avions qu'un coeur ;
S'il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Dock Boggs, dans les années 30
Il s'agît bien sûr d'une vue de l'esprit. François Villon et Dock Boggs n'ont pas eu la même vie, l'un hobo d'infortune, l'autre mineur, grandi à la dure. Cependant chacun d'eux, à partir des formes historiques que prenait sa propre misère, sa rage de vivre et de survivre, a fondé, sans l'avoir nécessairement prémédité, quelque chose de plus grand que lui, qui continue de tailler en pièce la conscience que nous avons de notre bouche, de nos oreilles, sinon notre conscience elle-même.
Frères humains, qui après nous vivez, n'ayez les cœurs contre nous endurcis. Si par aventure de Dock Boggs ne savez rien, apprendrez comme il convienct ici et là.
Et tout de suite
Pour étancher sa soif, la source est ici
1 commentaire:
ça devient une habitude....
Mais ça par exemple !! François Villon, une rencontre fortuite durant mon adolescence et hier soir en voulant écouter Breton, je retombe sur Villon. Lecture par Peter Marquis cote à cote avec Jean Deschamp, ma culture à des limites: je ne connais pas ces personnages. Par contre si cela t'interesse voici une adresse: http://www.wheatoncollege.edu/Academic/AcademicDept/French/ViveVoix/Resources/balladedespendus.html
la voix de Deschamp sur le texte de Villon, vroouuh ça fait de l'effet. l'anonyme de Chateau Rouge.
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