23 juin, 2005

Rock 'n' roll noir

Face à un film - qui sait combien le cinéma m'aura grandi ? - seules deux questions me préoccupent en vérité : les personnages sont-ils regardés de près ou de loin, à quelle vitesse, rapide ou lente, sont mises en scène les situations dont ils sont les sujets tourmentés ? Quelles nouvelles relations se tressent entre les êtres, ou entre les êtres et les choses, à quelle allure et à quelle distance celles-ci nous sont-elles montrées ?
Il me faut reconnaître en ce sens que les mises en scène survoltées, la succession des plans traitée aux électrochocs m'indiffèrent toujours davantage. Pour me montrer plus sensible au temps de la pensée, à la réflexion lente, à la vie comme elle passe, ma préférence va aux cinéastes comme aux œuvres qui laissent le tissu tisser le tissu, aux choses le temps d'advenir, leur durée propre.

Example
Jimmy Reed, The Big Boss Man

Avec la musique, il en va de même. Les courts-circuits m'ennuient, l'hystérie me glace, la frénésie me lasse. J'aime les rythmes langoureux, les cadences indolentes, les “mid-tempo” étirés jusqu'à la paresse. Ainsi en va-t-il des blues de Jimmy Reed, de ce rock 'n' roll noir - belle expression que je dois à Peg Leg Odell - moins rapide, moins énervé et colérique que celui des blancs. En six disques de première grandeur, The Vee-Jay Years (1953-1965), Jimmy Reed laisse un héritage vallonné de volcans endormis où le feu n'en couve pas moins comme peuvent couver maladies et révolutions. En matière de révolution justement, Odds and Ends (1957) met le blues à l'envers, cul par-dessus tête, et donne à sa musique une longueur d'avance sur ce qui peut, dans ces mêmes registres, s'écouter à l'époque. Classe absolue, définitive de Jimmy Reed : aller lentement et devancer tout le monde, opérer une révolution copernicienne qui voit arriver la tortue devant le lièvre, le faible distancer le fort, le noir surpasser le blanc.

Example
Année inconnue

Attention chef-d'œuvre !

Mais bien sûr, quand il pleut, le pas se fait plus lourd, la marche plus lente encore…

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Depuis que je vous ai découvert fernet-branca je me lasse pas de lire de telles acrobaties stylistiques "Les courts-circuits m'ennuient, l'hystérie me glace, la frénésie me lasse. " tac, tac, badaboum je retombe sur mes pieds. Bravo. Rien à redire sur vos choix, particulièrement le blues, musique d'à propos ces derniers temps.

"Classe absolue, définitive de Jimmy Reed : aller lentement et devancer tout le monde, opérer une révolution copernicienne qui voit arriver la tortue devant le lièvre, le faible distancer le fort, le noir surpasser le blanc."

finir par cette note d'espoir, merde, c'est beau.....

Anonyme a dit…

Bonjour,

Comme d'habitude les commentaires et le choix des titres sont excellents. Bravo, merci et à bientôt.

ps: message bien reçu, Super Biton à suivre...

aduna

Anonyme a dit…

où es tu fernet?

Anonyme a dit…

fernet a oublié ses fans en répondant à l'appel de Hollywood... (comment allons nous régaler nos oreilles?)
P.S: l'utilisateur anonyme devrait se trouver un nom de code, ça serait plus drôle (à moins que utilisateur anonyme ne soit déja un nom de code... hum)

Fernet-Branca a dit…

Fernet Branca, comme le sergent Pili, voit tout, entend tout, et n'oublie rien, ni personne. Pendant ce mois de juillet néanmoins, les livraisons assurées par la Cadillac… seront moins nombreuses. Non pas que Fernet Branca soit en vacances, encore qu'il en mériterait, mais il prépare son déménagement pour s'installer à Paris avec son amoureuse. Franchement ! Qui pourrait lui en vouloir ?
A très bientôt en tout cas.

Fernet-Branca a dit…

Quant au passager anonyme - anonyme ne veut pas dire clandestin - je suis d'accord avec Sad Old Punk. Ce serait plus sympa s'il se trouvait un pseudo personnalisé. Il serait ainsi plus facile de converser avec lui. Peut-être se décidera-t-il un jour ?